JACQUES SAADA, LA FIERTÉ DU JUDAÏSME

PAR ANNIE OUSSET-KRIEF

Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief  était Maître de conférences en civilisation américaine à l’Université Sorbonne Nouvelle à Paris. Elle réside maintenant à Montréal.

Jacques SAADA

Il a été enseignant, traducteur, député, ministre… Jacques Saada a connu un parcours exceptionnel, et a vécu dix vies en une ! Mais c’est avec une grande modestie qu’il évoque sa carrière, en insistant sur les immenses opportunités que le Canada a offertes au jeune immigrant qu’il était, il y a plus de quarante ans. C’est d’ailleurs une des raisons qui l’a poussé à se lancer en politique : par reconnaissance pour le pays qui lui avait tant donné.

Il fut élu président du parti libéral pour le Québec en 1991, député pour Brossard-La Prairie en 1997 et réélu jusqu’en 2006. Il fut le premier (et le seul) Juif sépharade à occuper des postes ministériels fédéraux : il fut ministre de la Réforme démocratique et leader du gouvernement à la Chambre des Communes (de décembre 2003 à décembre 2004), puis ministre du Développement économique pour le Québec et ministre de la Francophonie (2004-2006). Il se souvient avec émotion de sa première réunion au Cabinet du premier ministre, à Ottawa, lorsqu’il réalisa que lui, petit immigrant juif tunisien d’origine modeste, se retrouvait faire partie de l’histoire canadienne et allait contribuer à l’écrire.

Il fait l’éloge du Canada, ce pays d’immigration qui incarne tout ce en quoi il croit : l’ouverture, la diversité, le respect de l’autre. Le Canada, me dit-il, accepte les individus avec leur histoire, leur culture, leur langue, sans leur demander de tout abandonner. Ce pays est sa patrie de cœur, celle qui lui a le plus donné, mais il n’oublie pas ses autres patries : la Tunisie, son pays natal, où il vécut une enfance heureuse, la France, sa patrie culturelle, où il passa son adolescence, et Israël, sa patrie idéologique, l’ultime refuge pour tout Juif dans le monde. Il revendique sa judéité avec fierté – pas avec arrogance, insiste-t-il, mais avec la conscience que le peuple juif a beaucoup apporté à l’humanité, et qu’il est du devoir de chacun de se souvenir et de transmettre. Retiré de la politique, il se consacre désormais à sa famille, mais également aux activités communautaires : il est depuis cinq ans le président de la Communauté juive de la Rive-Sud, un organisme aujourd’hui intégré à la CSUQ.

La Communauté juive de la Rive Sud, c’est l’association d’une centaine de familles, de toutes origines et de toutes tendances. Cette petite organisation fut fondée il y a 23 ans, par Walter Lee, aujourd’hui décédé. Jacques Saada s’est associé à ce projet d’une communauté inclusive, car lui qui souhaitait retrouver ses racines, voyait là l’opportunité d’offrir à tous les Juifs qui le souhaitaient, un cadre ouvert et rassembleur. Tout individu qui peut attester d’une affiliation – même lointaine, non dictée par la matrilinéarité – avec le judaïsme, est accueilli au sein de cette communauté. Sépharades, Ashkénazes, couples mixtes, chacun a sa place.

Ce n’est pas un organisme religieux, la vocation est communautaire, culturelle. « Nous faisons œuvre constructive pour le judaïsme quand nous permettons aux gens de se reconnecter à leur histoire, à leurs racines », affirme-t-il. La Communauté n’est affiliée à aucune synagogue. La raison en est simple, m’explique Jacques Saada : les membres de la communauté appartiennent à toutes les tendances religieuses. Il faudrait être affilié à cinquante synagogues ! Certains sont proches du mouvement Reform et du Temple Emanu-El, d’autres sont proches des synagogues plus traditionnelles, ou bien du mouvement Conservative, et il y a même des membres proches du mouvement Chabad. En dépit de son orientation essentiellement culturelle, la Communauté organise des soirées religieuses : par exemple un seder de Pessah, Rosh Hashana, Kippour… Pour respecter l’éventail des sensibilités religieuses, des compromis sont mis en oeuvre. Ainsi, l’office de Rosh Hashana, du nouvel an hébraïque, a été animé par une femme rabbin, tandis que c’est le rabbin Chabad qui est venu officier pour Kippour, le jour du Grand Pardon. Des aménagements identiques sont pris concernant la séparation entre les hommes et les femmes : certains tiennent à la mehitsa, barrière de séparation, d’autres s’y opposent totalement. La salle est donc divisée en deux : il y a une mehitsa dans les premières rangées, mais aucune dans les rangées à l’arrière de la salle. Chacun se place où il le désire.

La Communauté organise des manifestations pour Yom HaShoah, Yom Haatsmaout, tête de l’Indépendance de l’État d’Israël, des conférences historiques, des « bagel breakfasts » : le prochain sera consacré aux Juifs exilés des pays arabes.

Dimanche 12 novembre a eu lieu le 23e gala annuel, rassemblant autour des membres de la Communauté les présidents des deux associations musulmanes de la Rive-Sud, des représentants de la communauté chinoise… L’organisation se veut un pont entre les différentes populations. C’est cette vocation d’ouverture et de rassemblement qui caractérise la Communauté de la Rive-Sud. « Car il est important d’expliquer ce que nous sommes », conclut-il, « expliquer la fierté de notre judéité, une fierté qui ne rejette pas, qui n’exclut pas, mais qui s’affirme dans la sérénité et la détermination ». Un message résolument optimiste et humaniste.

 

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