L’aventure des « maisons chaleureuses », Beit Ham, depuis quarante ans en France et en Israël de 1976-2016

Henri Cohen Solal

Henri Cohen Solal

Henri Cohen-Solal est psychanalyste, médiateur et enseignant. En 1980 il cofonde en Israël, et préside, jusqu’à aujourd’hui « Beit Ham », la « maison chaleureuse », spécialisée dans l’accompagnement des adolescents en difficulté dans des quartiers défavorisés, où se mettent en pratique les principes de la médiation sociale et de la psychothérapie institutionnelle. Il est l’auteur avec Dominique Rividi du livre « Les maisons chaleureuses », Éditions IES Genève Mai 2015.

Il nous livre ci-dessous le parcours de ces « maisons chaleureuses » — dont nous publions des extraits — en particulier en Israël au sein des quartiers à prédominance sépharade.

Quels sont les principes pédagogiques d’une « Maison chaleureuse » ?

Comment accompagner le jeune dans ses projets de vie, l’aider à accueillir en lui le désir d’un devenir face au sentiment qu’il développe souvent : la crainte du futur et des échecs qui le persécutent. « Je suis nul, je n’y arriverai pas, je ne sais pas où je vais, no future », ponctuent ses angoisses dont nous devons le soulager.

À cette intention, nous avons rédigé quelques principes fondamentaux :

  • Ne pas laisser un jeune à l’abandon dans la rue.
  • Lui offrir un lieu d’accueil sur son quartier, en particulier dans les cités les plus défavorisées.
    Permettre à ce jeune de reconstruire sa vie sociale dans une maison qui constitue une communauté de jeunes, alternative à la bande de la rue fondée sur les rapports de force et la violence.
  • Proposer dans cette maison des activités sportives et culturelles en lien avec son désir de progresser, de créer, de s’affirmer, que l’âge adolescent réveille et sollicite.
    Mettre à sa disposition une équipe psycho-éducative de quatre éducateurs formés à la médiation sociale et culturelle pour l’aider à élaborer son lien social et sa prise de confiance en lui-même et dans les autres.

Voici résumé en quelques mots le credo du dispositif d’accueil des adolescents dans nos « maisons chaleureuses ».

En 40 ans nous avons ouvert une cinquantaine de maisons de Paris à Jérusalem, accueilli quelques milliers de jeunes en difficultés et formé quelques centaines d’éducateurs et d’animateurs à nos méthodes de travail de la médiation psycho-sociale et interculturelle.

Dans certaines de ces maisons, nous avons développé une approche inspirée de la psychothérapie institutionnelle, fondée sur l’analyse institutionnelle, la cogestion participative et l’écoute du sujet inconscient (…)

Naissance des « maisons chaleureuses » en France

L’histoire de ces 40 ans prend racine dans la banlieue parisienne, à Garges-les-Gonesse, au sein de l’association de l’OPEJ. Cette association est née après la seconde guerre mondiale pour accueillir les enfants orphelins sortis des camps ou encore ceux dont les parents étaient morts dans les camps. (…). L’association a rempli sa mission, celle d’offrir à ces enfants une nouvelle famille affective dans des maisons d’enfants construites pour les aider à grandir et à reprendre confiance dans la vie.

En 1960, l’OPEJ se consacre désormais à de nouvelles taches de protection de l’enfance : l’accueil des Juifs originaires du Maghreb, qui ont quitté leur pays d’origine, ce dernier étant devenu insécurisant pour eux après le retrait de la France de ces territoires, ou à cause des réactions hostiles de la part de certaines populations musulmanes après la création de l’État d’Israël.

En 1976, la première « maison chaleureuse » voit le jour en France dans le terreau des difficultés sociales chez les adolescents originaires de l’immigration des Juifs d’Afrique du Nord. Dominique Rividi et moi-même engageons alors avec l’association de l’OPEJ un lieu d’accueil pour ces jeunes en errance.

Une étude de Claude Sitbon sur les Juifs d’Afrique du Nord immigrés en France nous sert de point d’appui. Un autre livre paru en 1971 de Doris
Bensimon Donath sur l’intégration des Juifs nord-africains en France nous fournit aussi un riche matériel sociologique 1.

Mais c’est surtout un rapport des assistantes sociales de la région d’Île-de-France qui met en évidence leur difficulté de rentrer en contact avec ces familles et leurs jeunes.
Elles décrivent le comportement de ces familles dont elles ressentent le malaise, et l’aide sociale qu’elles cherchent à leur apporter qui est souvent mal perçue.

Le shabbat, elles sentent qu’elles dérangent les familles quand elles leur rendent visite, pourtant elles ont repéré que ce jour de la semaine rassemble toute la famille.
Elles proposent des colonies de vacances aux enfants que les parents refusent parce qu’elles réunissent garçons et filles, les paniers repas qu’elles offrent ne sont pas cachers et ne sont pas consommés.

Elles font alors appel aux institutions juives pour que des travailleurs sociaux instruits des coutumes juives puissent intervenir auprès de ces familles.
Le caractère chaleureux du lieu d’accueil que nous ouvrons en direction des jeunes correspond profondément au climat social qui réside dans les familles juives immigrées d’Afrique du Nord. (…)

La révolte des Sépharades défavorisés en Israël

Le modèle du club qui nous servait à recevoir les jeunes en dérive dans la banlieue française, va trouver rapidement un écho au sein de la société israélienne.
En Israël, un mouvement de revendication sépharade gronde dans les faubourgs de la ville de Jérusalem en 1971, les Panthères Noires, qui s’identifient aux Black Panthers afro-américaines et revendiquent une reconnaissance .

« Le mouvement débuta en 1971 à Mousrara, dans le voisinage de Jérusalem, en réaction à la discrimination conduite par les autorités israéliennes contre les Juifs Mizrahi (d’Orient et d’Afrique du Nord ndr), et cela malgré le fait qu’ils fussent présents dès la création de l’État. Cette discrimination était perceptible au travers de l’attitude différente de l’Establishment ashkénaze vis-à-vis des nouveaux immigrants originaires d’Union soviétique. Les fondateurs du mouvement protestaient contre « l’ignorance des problèmes sociaux profonds de la part de l’establishment », et se proposaient de lutter pour un futur différent.

Les services sociaux israéliens étaient profondément ébranlés par cette secousse identitaire et culturelle dans la société civile et politique.

Ils réagirent en essayant d’améliorer la qualité de vie des populations orientales issues des pays arabes et en répondant, avec de nouveaux moyens, à leur colère et à leur désarroi.
La mairie de Jérusalem monta un département d’action sociale auprès de la jeunesse « Kidoum Noar » pour essayer d’apporter des solutions concrètes dans les quartiers où sont apparues les révoltes les plus soutenues.

En 1980, le Maire de Jérusalem, Teddy Kollek prend connaissance de notre intention de venir nous implanter en Israël, avec le projet des « maisons chaleureuses » que nous avions élaboré à travers notre rencontre avec les populations sépharades de Sarcelles et de Garges-les-Gonesse immigrées d’Afrique du Nord.
Le maire pense que notre expérience en France peut être profitable en Israël et apporter dans le travail social un souffle nouveau une alternative aux méthodes classiques des professionnels anglo-saxons (…).

Il donne du crédit à trois éléments que nous véhiculons dans le projet de nos « maisons chaleureuses » :

  • (…) l’attitude ouverte et tolérante des institutions sociales françaises et la dimension pluridisciplinaire lui paraissent un apport précieux pour la vie sociale dans Jérusalem qui se décline avec la pluralité de ses communautés et de ses cultures .
  • L’équipe des professionnels que nous constituons, médecin, psychologues cliniciens et éducateurs sociaux, tous originaires du bassin méditerranéen, représente à ses yeux des passerelles interculturelles entre l’Orient de nos origines et l’Occident où nous avons fait nos études.
  • Enfin, nous sommes des citoyens « tout neufs, tout beaux » remplis d’idéal sioniste et sans engagement préalable dans des partis politiques israéliens.

Teddy Kollek avait une véritable admiration pour l’esprit français et se plaisait à parler la langue de Voltaire.

L’ouverture de la première « maison chaleureuse » à Jérusalem Nous avons donc ouvert notre premier club dans le quartier d’Ir Ganim au sud-ouest de Jérusalem. Les familles qui y vivaient étaient toutes originaires d’Irak, de Syrie, en majorité du Maroc, exceptionnellement de Roumanie ou de Georgie.

Les bonnes âmes du quartier évaluaient que les immigrants « Français » que nous étions à leurs yeux, auraient du mal à tenir dans la cité, face à la violence qui régnait entre les bandes de rue et la main mise d’une certaine maffia sur les institutions.

Et, nous avons tenu.

Nous nous sommes multipliés à travers des dizaines de « maisons chaleureuses », en Israël, en France puis plus récemment en Afrique, dans l’Océan Indien.
Nous avons créé une « fondation des maisons chaleureuses -Jérusalem-Paris-Tananarive » sous l’auspice de la Fondation de France pour faire connaître et renforcer notre action sur tous les terrains où ces maisons font du sens.

Et pourtant, en arrivant en Israël avec notre bagage professionnel de France, nous n’avions aucune intention d’ouvrir plusieurs maisons.

Nous construisions un modèle d’action éducative et psycho-sociale auprès des jeunes. Celui qui désirait s’en inspirer pouvait venir faire un stage dans notre maison.
Nous nous référions à la psychanalyste Françoise Dolto avec laquelle j’ai eu le bonheur de travailler. Fondatrice des maisons vertes pour l’accueil de la petite enfance, elle affirmait l’impossibilité de « cloner » un projet fondé sur une approche analytique. Chacune des maisons devait rester singulière, souvent attachée à la personnalité de ceux qui la créaient.

(…) Nous avions une vocation sociale, nous avons donc construit en Israël un dispositif de gestion fondé sur la participation financière des municipalités à hauteur de 50 % des budgets et 50% à charge des fondations Cette démarche économique élaborait un espace mixte où la responsabilité de l’impôt public et la générosité de la donation privée se conjuguaient pour protéger un jeune en difficulté.

Nous pouvions alors tenir une parole éducative réparatrice auprès du jeune qui se sentait abandonné : sa maison chaleureuse existait grâce à l’implication de l’État et au cœur ouvert et humaniste de ce donateur qui, sans le connaître, voulait protéger sa jeunesse et le devenir de son pays.

Nous ne pouvions pas cloner mais nous pouvions former. Nous avons ouvert successivement plusieurs centres de formation qui diffusaient nos méthodes socio-éducatives inspirées de la psychothérapie institutionnelle et de la médiation psycho-sociale et
interculturelle.

Nous avons monté ou soutenu de nombreuses associations qui voulaient ouvrir des « maisons chaleureuses » : Beit Ham-Nord, Beit Ham Kiah, Beit Esther-Beit Ham à Jérusalem.

Nous avons formé des centaines d’éducateurs sur tous les continents qui bordent la méditerranée.

De la méditerranée, il en est justement question.

La voix sépharade : la voie du passeur

L’invitation faite par le maire de Jérusalem, Teddy Kollek, prendra du sens au fur et à mesure que les « maisons chaleureuses » s’installeront au sein de toutes les communautés présentes en Israël du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest du pays auprès des jeunes en difficultés.

Le maire nous invitait à Jérusalem, car il nous regardait culturellement et professionnellement comme des passeurs entre l’Orient et l’Occident.

Notre identité reflétait pour lui ce qu’il espérait pour la gestion de la ville de Jérusalem; une ouverture, une pluralité, et pouvoir retrouver ce temps de l’histoire à Cordoue décrit comme paisible où se côtoyaient Maimonide et Avicenne sous les auspices d’Aristote et d’Hippocrate.

Notre identité se renforcera au contact des immigrants Éthiopiens, Russes et des Juifs des pays arabes qui fréquenteront ces maisons. Nous avions aussi une forte demande de la part des milieux arabes israéliens, bédouins, caucasiens, chrétiens et musulmans.

Il s’agissait donc de faire entendre la voix sépharade au sein de la culture israélienne, non par la violence ou la revendication mais par la voie de la médiation.
La « maison chaleureuse », héritière de la culture de l’hospitalité inconditionnelle, de l’écoute de l’autre et de la chaleur dans l’accueil, reflétait l’expérience du peuple juif sépharade.

Elle œuvrait pour protéger leur dignité et mettre à contribution leur apport culturel à la société israélienne.

La voie sépharade imprégnée de l’âge d’or du peuple juif en Espagne constitue un carrefour très élaboré de la rencontre des cultures, elle naît sur le continent européen face à un catholicisme militant et à la civilisation musulmane conquérante. Elle se situe au point de rencontre de leur entente, à travers l’esprit de Cordoue et de leur violente rivalité à travers les guerres entre les Maures et les hispaniques catholiques. Les sépharades payeront le lourd tribut de cette identité de passeur par l’expulsion des Juifs
d’Espagne en 1492. Ils se répartiront alors en majorité sur tous les pays du bassin méditerranéen.

La décision du peuple juif de retourner vivre en Israël au bord de la Méditerranée, entre la culture des orientaux issus des pays arabes et celles des ashkénazes issus de l’Occident, peut prendre de nouveau appui sur la riche expérience méditerranéenne de la culture sépharade.

Nos « maisons chaleureuses » reflètent cet espace interculturel et social du souci et de la reconnaissance de l’autre.

Elles constituent une pièce précieuse pour le soutien de la jeunesse et la construction du savoir-vivre ensemble des différentes communautés en Israël.

Nous cherchons toujours à les multiplier et étendre leur force de vie aux quatre coins du pays à travers notre Fondation des maisons chaleureuses 2.

Beaucoup de chemin a été parcouru pour développer l’enrichissement et le respect mutuel des peuples originaires d’Orient et d’Occident dont Israël est l’un des passeurs.
Mais la route est encore longue.

Nous aurons certainement encore besoin de beaucoup de « maisons chaleureuses » pour protéger les jeunes que nous accueillons et les conduire vers un avenir où ils reprennent confiance en eux mêmes et dans les autres.

Henri Cohen-Solal

Notes:

  1. Voir Claude Sitbon, « Les juifs de Sarcelles, intégration et identité », dans Dispersion et Unité, n°11, 1971, pages 82-96 et Doris Bensimon Donath, L’intégration des Juifs nord-africains en France. Éditions Mouton, Paris,1971.
  2. Fondation des maisons chaleureuses. Arielle Schwab et Henri Cohen Solal .61 Rue Crozatier Paris 75012 France. beitham-france@hotmail.fr
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