La formation rabbinique sépharade « Maarava » au sein de l’Institut Amiel

La fonction rabbinique face aux défis de la société contemporaine

La fonction rabbinique orthodoxe est, sur certains points, prémoderne : elle tend à s’affirmer comme autorité ultime dans un monde où la connaissance est démocratisée et elle concentre des pouvoirs en une seule personne dans une culture occidentale décentralisée. Enfin, elle se dit au masculin dans un monde qui recherche l’égalité. Si cela est vrai pour tout rabbin, il l’est doublement pour le rabbin sépharade, dont l’héritage ethnicoculturel, ancré dans la pensée et la vie traditionnelle, ne favorise pas la rencontre avec le monde post-moderne. Pourtant, le rabbin du 21e siècle sera adapté aux enjeux du monde environnant, ou ne sera pas, en tout cas ne le sera alors pas pertinent.

La nécessité de former une nouvelle génération de leaders spirituels, conscients des enjeux identitaires et sociologiques du peuple juif, en leur fournissant des outils professionnels tant dans la théorie que dans la pratique, est le défi que relève l’Institut Amiel depuis bientôt vingt ans. Amiel a été fondé et dirigé par le rabbin Eliyahu Birnbaum, ancien grand-rabbin d’Uruguay et juge rabbinique attaché aux conversions en Israël. Il fait partie intégrante des institutions Ohr Torah Stone, un des porte-paroles les plus influents de l’orthodoxie moderne israélienne, piloté par le célèbre rabbin Shlomo Riskin, et qui regroupent sous son égide des dizaines d’établissements d’étude pour hommes et femmes. Il est essentiel de souligner que la formation Amiel se tourne vers les deux conjoints amenés à s’installer pour quelques années en diaspora et met l’accent tant sur les aspects professionnels que psychologiques d’une délocalisation et ses conséquences sur la vie du couple et de la famille.

Un complément de formation sépharade à la formation rabbinique au sein du monde moderne orthodoxe

Fort du constat que les communautés sépharades ont des attentes bien particulières de leur rabbin, et que ce dernier est appelé à agir sur un mode bien spécifique, j’ai été contacté afin de mettre sur pied et diriger le programme « Maarava » qui propose un complément de formation au cursus d’Amiel. C’est ainsi que depuis quatre ans, grâce au financement de la fondation Safra, nous formons chaque année dix leaders spirituels (rabbins ou éducateurs) qui prendront des postes clés dans le leadership sépharade mondial.
La formation Amiel intègre les données de base de l’orthodoxie moderne : sionisme, pluralisme, féminisme, acceptation a priori des valeurs de la modernité.

« Maarava » reprend ces fondamentaux et les réfléchit dans la perspective de l’identité sépharade. « Maarava » met ainsi l’accent sur le type de fonctionnement du rabbin séfarade, les attentes de sa communauté, son rapport au social, au familial et au religieux. La formation « Maarava » inclut également des contenus historiques sur l’origine des communautés d’Afrique du Nord et d’Orient, des analyses identitaires et culturelles sur la place de la sépharadité aujourd’hui en terrain occidental, des données halakhiques et méta-halakhiques, la place et le sens des différents usages locaux, une meilleure connaissance des personnalités et des œuvres littéraires du monde sépharade. Le chant liturgique, le piyut, y est aussi enseigné, l’identité traditionaliste typiquement sépharade y est profondément étudiée, les stratégies de développement communautaire y sont pratiquées, l’esprit de la halakha (loi juive) sépharade y est intégré.

Le type de leadership spirituel que nous souhaitons ériger assume pleinement sa tendance orientale dans un monde occidental, lui reconnaît ses vertus de chaleur et de douceur, d’accueil et de tolérance. Mais il sait aussi prendre de la hauteur et l’étoffer de contenus philosophiques, spirituels et halakhiques.

Ce leader reste proche des familles, des enfants, des besoins élémentaires du Juif et sait se trouver dans l’écoute. Sa fonction est une vocation et est basée sur une personnalité facile d’accès refusant toute espèce de charisme inutile.

Il doit être capable d’enseigner les signes de cantillation aux jeunes enfants et d’être un pôle d’attraction intellectuelle pour les étudiants et les jeunes familles. Sa communauté est avant tout une famille au sein de laquelle les hommes comme les femmes s’épanouissent spirituellement et intellectuellement. Sa maison est ouverte à tous et il ne craint pas de boire le café chez ses fidèles. Il est présent aux principaux carrefours de la vie juive et accompagne les familles, pratiquantes ou non, dans leurs joies et leurs deuils. Il est le rabbin familial avec lequel on entretient des liens amicaux et qui fait partie du paysage naturel de tous et toutes.

Être un passeur entre l’orient et l’occident et dans le dialogue avec l’Islam

Son vécu sépharade et sa capacité réflexive, partagés d’une façon ou d’une autre avec ses fidèles, font de lui, du leader sépharade, un passeur entre l’orient et l’occident et lui permettent de créer des ponts entre les cultures et les communautés. Il saura ainsi naviguer entre les identités portées par ses fidèles et leur donner les outils afin de gérer intelligemment ces différentes dimensions identitaires et d’en conserver le meilleur. Une réflexion particulière porte sur le fait inter-religieux et sur la plus-value spécifique que ces leaders peuvent ajouter au dialogue avec l’Islam. La mise en exergue d’un destin commun lié, certaines fois, à l’expérience de la minorité recherchant à s’intégrer dans un groupe culturel majoritaire tout en conservant son authenticité; le ressenti justifié ou non d’une frustration voire d’une oppression, la tentation de dissimuler une part de soi afin d’accéder à la reconnaissance sociale sont autant de détails qui contribuent à donner de l’étoffe à cette vocation de passeur.

Le nom du programme reflète assez bien ses ambitions. Dans la littérature talmudique, le terme « Maarava » désigne « La terre d’Israël », mais il rappelle également la dimension géographique du Maghreb. Enfin, l’hébreu moderne nomme l’Occident par le terme ‘maarav’. La rencontre entre l’Orient et l’Occident sont donc aux fondements de cette initiative et de la vision qui s’y développe.

« Maarava » est encore jeune, mais à l’image d’un bon vin, il s’améliore et se bonifie avec les années. Son ambition dépasse les cadres communautaires et peut se révéler salvatrice dans un monde déchiré par les tensions entre l’orient et l’occident.

Mikhael Benadmon

Docteur en philosophie de l’Université Bar-Ilan, Répondeur sur le site Cheela.org. Auteur de Rébellion et créativité dans la pensée du sionisme religieux (en hébreu) aux Presses universitaires de Bar-Ilan. Son prochain ouvrage Pourquoi Israël ?  Les tentations territoriales : avoir, être et pouvoir à paraître aux Éditions Lichma.

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